Encadrement du lobbying : analyses et perspectives du cas français
Le 12 septembre dernier, l’équipe du Club Influence a eu le plaisir d’organiser sa première conférence au sein de l’Université Paris-Dauphine avec deux grands intervenants : M. Guillaume Valette-Valla, Secrétaire Générale de la HATVP et Mme Stéphanie Fougou, Présidente de l’AFJE.
Des débats, forts intéressants et dont nous vous proposons un bref résumé ci-après :
C’est d’abord M. Guillaume Valette-Valla qui brosse un portrait rapide de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « Loi Sapin 2 ».
Ce dispositif légal a pour effet entre autres l'encadrement du lobbying en France, via son article 25 qui prévoit la création d’un répertoire numérique public des représentants d’intérêts tenu par la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP). L’objectif ? Lutter contre le trafic d'influence auprès des pouvoirs publics.
Dans ce cadre, l’HATVP (avec seulement 50 collaborateurs !), a pour mission de contrôler et assister les 16 000 responsables publics les plus exposés en France à savoir ceux qui occupent une fonction à la Présidence de la République, au Gouvernement, au Parlement, ou dans les autorités administratives ou publiques indépendantes,
Comme l’indique le Secrétaire général de l’HATVP, outre le fait que comme trop souvent la France s’engage sur ce terrain avec beaucoup de retard, « le champ de la loi est très vaste et le législateur a souhaité adopter le dispositif le plus ambitieux au monde ». Ainsi, les obligations qui en découle dépassent, et de loin, les ambitions portées par nos principaux voisins. Elles sont au nombre de trois :
- La transparence : entre la sphère privée et les responsables publics
- L’ouverture : pour assurer une meilleure représentation de tous les intérêts représentés dans la société
- La déontologie : pour une harmonisation des règles et plus d’égalité entre tous les représentants d’intérêts
Dans les faits, le dispositif porte obligation pour toute personne morale (et physique) dont l'activité principale ou régulière est la représentation d'intérêts auprès d’un responsable public, de s’inscrire dans un répertoire public et de fournir un compte rendu annuel de ses activités (nombre de contacts, modalité de contact, entité contactée et sujet abordé).
La représentation d’intérêt se définissant au sens de la loi Sapin 2 comme toute communication avec un responsable public, a l'initiative d’un représentant d’intérêts, et dont l’objet est d'influencer une décision publique. D’autre part, l’activité régulière s’évalue selon un critère de temps dont le seuil déclencheur est d’au moins 10 entrées en communication (rencontre, échange téléphonique, courrier etc.) sur les 12 derniers mois.
La loi Sapin 2 est applicable depuis le 1er janvier de cette année et ne concerne actuellement que les pouvoirs publics nationaux. L’extension aux collectivités locales est prévue pour l’horizon 2018. Toutefois, compte tenu des contraintes et des difficultés inhérentes à un déploiement en région, l’HATVP préconise de repousser cette échéance de plusieurs années, voire sine die.
En conclusion de son propos, M. Guillaume Valette-Valla souligne que du point de vue du législateur, bien que le domaine relève bien de la moralisation de la vie publique, le sujet a été abordé sous l’angle "Compliance" et non "corruption".
Prenant la parole suite à cette présentation et souhaitant rebondir, du point de vue des représentants d’intérêts et des acteurs économiques, Mme Stéphanie FOUGOU, commence par énoncer une tendance générale, un constat et un regret.
- La tendance : les personnes de formation juridique vont de plus en plus vers les services affaires publiques des entreprises.
- Le constat : contrairement à ce qu’on pourrait s’attendre, la fonction « Affaires publiques » de nombreux groupes français est moins structurée qu'attendu. Elle fait souvent l’objet d’un rattachement au service juridique voire au Secrétariat général des entreprises, mais assez rarement à la gouvernance. Or, le sujet la concerne de plein exercice.
- Le regret : en France, le lobbying n’a pas bonne presse. Pourtant cette activité peut – et doit - avoir des effets positifs. En éclairant les choix des responsables publics, le représentant d’intérêts vise à permettre des prises de décision publiques fondées sur des éléments factuels et sourcés. Il s'agit ici d'informer et non de manipuler.
L'important n’est donc pas de limiter ou empêcher le bon développement de cette activité sensible, mais de fixer des règles de méthode et de définir les bonnes pratiques. Cela passe notamment par la possibilité de donner une égalité de traitement pour tous les types d’organisations (PME, CAC 40, etc.) dans leurs rapports avec les décideurs publics.
Toutefois, Mme FOUGOU poursuit en mettant en exergue les risques pour les entreprises de ce dispositif récent et construit dans l’urgence. Premièrement, l'évaluation du critère matériel d’éligibilité au dispositif étant uniquement quantitatif (nombre de rencontres par exemple), comment un non professionnel (activité régulière et non principale) peut-il savoir s’il est dans l’obligation de s’inscrire au répertoire, dès lors que son activité ne répond pas à des critères de temps ? Ne doit-on pas intégrer d’autres critères qualitatifs permettant de définir l’activité ?
Deuxièmement, si l’ensemble des parties prenantes ne peuvent qu’être pour la transparence des relations entre décideurs publics et entités privées, il faut rester vigilant quant au risque d’excès de transparence. En effet, les informations contenues dans la publication annuelle des rapports d’activités de représentation d’intérêts et des dépenses associées par l’HATVP, seront accessibles à tous – à la presse, mais également aux sociétés concurrentes – ne pourront-elles pas être utilisées par les adversaires pour connaitre les stratégies ou les orientations futures des entreprises, mettant de fait leur pérennité en péril ?
Enfin, l’application de ce dispositif législatif ne risque-t-il pas également de venir se heurter à d’autres dispositifs ? Et donc de placer les entreprises face au paradoxe de devoir contrevenir à une obligation légale quelle que soit l’option choisie ?
En conclusion, élargissant le débat au niveau européen et international, la Présidente de l’AFJE précise que chaque pays à sa réglementation et son mode de reporting en matière de transparence de la vie publique. Cela génère à la fois des contraintes techniques et financières en termes de transmission de l’information (formatée en fonction de la réglementation de chaque pays) et des coûts de production générés. Face à cela, elle préconise de se diriger vers une harmonisation au moins européenne des législations.
Il ressort de ce débat que les entreprises devront rapidement prendre la mesure des conséquences possibles de ce dispositif :
D’abord, la perte potentielle d’agilité. Le législateur ayant opté pour la publication des rapports d’activités par l’HATVP en lieu et place d’un contrôle de légalité, le principe de la confidentialité des affaires, qui est un des piliers du développement commercial, peut-être mis à mal. Les entreprises relevant du champ d’application de la loi peuvent ainsi se retrouver avec un handicap business supplémentaire.
Ensuite, le danger de la « sur-transparence ». Les informations diffusées en open source sont autant d’éléments permettant à la concurrence de connaitre et d’anticiper, à peu de frais, la stratégie de l'entité qui les publie. Ou pire, de les utiliser contre elle. Ce dispositif peut ainsi devenir, à son corps défendant, une nouvelle arme de guerre économique contre les entreprises françaises.
Enfin, le risque de contre-productivité. Si on n’y prête garde, le dispositif peut devenir une redoutable « usine à gaz » aux effets paralysants pour les entreprises en ajoutant une nouvelle obligation administrative contraignante et coûteuse, tout en affaiblissant leur position concurrentielle.
Toutefois, l’exigence de transparence est devenue un enjeu majeur pour tous et la loi Sapin 2 a justement pour ambition d’orienter en ce sens les relations entre acteurs privés et décideurs publics. Face à cette réalité, les entreprises doivent transformer cette contrainte en opportunité et faire de ce dispositif qui valorise les bonnes pratiques et disqualifie les mauvaises, un avantage concurrentiel durable.
Tout dépendra donc de ce qui sera fait de l’outil s’il est subi ou utilement intégré. En tout état de cause, les entreprises se doivent d’intégrer ce nouvel élément dans leur stratégie de Risk-management en général et d’Intelligence Economique en particulier. La mise en place de mesures de prévention et de protection adaptées – action de sensibilisation/formation, dispositif de veille stratégique et plan de sûreté économique, intégrant cette nouvelle contrainte - semble nécessaire afin de maintenir au meilleur niveau le dispositif de sauvegarde du patrimoine et des actifs immatériels des organisations.
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